L’album Membres postérieurs d’Arséni Léonidovitch Schulz est un bel exemple de l’art de l’absurde, phénomène (ou état) de la culture qui ne se manifeste que très rarement en Russie de la fin des années 1920 et du début des années 1930. Contrairement au surréalisme ou au dadaïsme, ce phénomène s’oppose de manière intentionnelle au pathos de l’avant-garde de l’époque des grandes découvertes artistiques, et rien ne lui répugne plus que la grandeur héroïque. L’art, chez lui, campe dans les territoires de la vulnérabilité et de la dépression, et ce choix n’est que trop conscient.

Tout ceci est né en réaction à l’apparition du « grand style »: pour être présent dans le paysage culturel, l’art se voit obligé à prendre la forme d’un décor monumental servant à encadrer des événements que les médias présentent comme étant d’une importance primordiale; à cette surabondante production de masse s’oppose alors un art qui travaille à prendre le pouls du quotidien et du discret, un art conscient du caractère futile et absurde de l’existence de l’homme dans ce monde.